Le Chant Francais en guerre Le Chant français en guerre Le 16 janvier 1944, après trois ans et demi d’une épuisante occupation de leur ville par des Allemands de plus en plus rapaces, les Parisiens affamés et déprimés eurent de quoi se repaître d’un extraordinaire festin musical. Au Théâtre des Champs-Elysées, un concert gratuit était dirigé par Willem Mengelberg, incluant l’ouverture d’Anacréon de Cherubini, le concerto pour violoncelle de Dvorak avec Paul Tortelier en soliste, et la symphonie en ré mineur de César Franck. Il y avait le même jour deux représentations à l’Opéra-Comique, un ballet à l’Opéra, deux concerts Salle Pleyel et d’autres encore à la Salle Gaveau, à la Salle Debussy, dans la Salle du Conservatoire, au Théâtre du Châtelet et au Palais de Chaillot. Rien d’exceptionnel, pourtant. Mengelberg donna au total 28 concerts gratuits au Théâtre des Champs-Elysées entre 1942 et 1944 ; les programmes hebdomadaires publiés dans la presse durant les années les plus sombres de l’Occupation illustrent bien la richesse continue de la vie musicale parisienne. Tout cela était en accord avec la politique de l’occupant, qui souhaitait maintenir Paris comme phare culturel de Nouvel Ordre européen et pour divertir les forces armées allemandes. Malgré leur foi proclamée en la supériorité de la culture allemande, les nazis étaient impressionnés par Paris et sa réputation de capitale culturelle. Lors d’une rapide visite de la ville conquise, le matin du 23 juin 1940, Hitler se rendit directement à l’Opéra, en compagnie de l’architecte Albert Speer et du sculpteur Arno Breker. Dès les premiers mois du conflit, l’optimisme illusoire de la « drôle de guerre » trouva son expression caractéristique dans les joyeux chants patriotiques enregistrés par Georges Thill. « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » remontait à la guerre de 1870 et serait à nouveau cité en 1943, non sans un certain culot, dans le ballet de Poulenc Les Animaux modèles. « Ils ne la gagneront pas » disparut sans doute assez vite des bacs des disquaires dès lors que les Allemands eurent bel et bien gagné. Après la débâcle de juin 1940 et l’abandon de Paris par une grande partie de sa population, la vie culturelle retrouva très vite un semblant de normalité. Administrateur expérimenté et respecté, Jacques Rouché reprit ses fonctions à la tête de l’Opéra malgré ses scrupules, pensant que cela valait mieux que de laisser aux Allemands le contrôle direct sur cette institution. Rouché se vit accorder une certaine liberté créatrice mais, comme tous les autres directeurs de théâtres parisiens, il fut contraint de se conformer aux directives raciales des nazis et de licencier une trentaine de membres de son personnel. Après une interruption d’un peu plus de deux mois, l’Opéra rouvrit ses portes le 24 août 1940 avec La Damnation de Faust. Ce choix fut sans doute mûrement réfléchi. Non seulement l’oratorio de Berlioz était l’une des rares partitions françaises à pouvoir rivaliser en ampleur et en profondeur avec les plus grands chefs-d’œuvre d’outre-Rhin, mais c’était aussi la mise en musique de l’un des textes les plus célèbres et les plus admirés de la littérature allemande. On pouvait donc voir là un geste de soutien pour ce « nouvel ordre européen » dominé par les Nazis, dont on parlait tant et où la France souhaitait jouer un rôle majeur. La Damnation de Faust connut pas moins de vingt représentations sous l’Occupation. Dans le cadre d’une entreprise que l’on peut qualifier d’héroïque en temps de guerre, le premier enregistrement intégral de La Damnation de Faust fut réalisé entre le 15 et le 20 septembre 1942, sous la direction de Jean Fournet, avec l’orchestre de Radio-Paris, porté pour l’occasion à 95 musiciens, accompagnant les 80 membres de la chorale Emile Passani et les solistes Mona Laurena, Georges Jouatte et Paul Cabanel. Il peut sembler étonnant que l’on n’ait pas sollicité Ninon Vallin ou Germaine Lubin, les deux titulaires les plus admirées du rôle de Marguerite et encore au sommet de leurs moyens. Mona Laurena ne chantait ni à l’Opéra, ni à l’Opéra-Comique, et semble ne pas avoir eu de carrière notable ni avant ni après la guerre. Si son étoile brilla sous l’Occupation, au disque et sur les ondes, ce fut apparemment grâce à sa liaison avec le directeur artistique de Radio-Paris, l’Allemand Otto Sonnen. Son talent était cependant loin d’être négligeable, et sa prestation n’a rien de déshonorant. Outre la présentation d’œuvres allemandes comme Palestrina de Pfitzner et Joan von Zarissa de Werner Egk, le Palais Garnier accueillit des troupes d’opéra allemandes. En 1941, le Staatsoper de Berlin proposa Tristan et Isolde dirigé par le jeune Herbert von Karajan. Germaine Lubin regretta par la suite d’avoir chanté le rôle d’Isolde dans ces circonstances, mais l’on y vit alors un triomphe pour l’art vocal français. Bien que dirigé à partir de 1941 par le compositeur Max d’Ollone, partisan enthousiaste de la collaboration musicale, l’Opéra-Comique réussit bien mieux à préserver son intégrité en tant qu’institution culturelle française. En guise de geste de conciliation envers les Allemands, la Salle Favart donna la création française d’Ariane à Naxos. La distribution laisse rêveur : Germaine Lubin dans le rôle-titre, Georges Jouatte en Bacchus, Janine Micheau en Zerbinette et Marisa Ferrer en Compositeur, dirigés par Roger Désormière. La seule trace conservée est un enregistrement de l’air de Zerbinette par Janine Micheau, qui en négocie les aigus périlleux avec une aisance à couper le souffle et une luminosité admirable, mais comme le nota Honegger dans un compte rendu par ailleurs élogieux, publié dans Comoedia, il lui manquait « la vivacité et la malice » du personnage. Selon Germaine Lubin, Micheau fut interdite de représentation pendant un an à la fin de la guerre, pour avoir chanté le rôle lors d’un concert diffusé par Radio-Paris. La plus grande réussite de l’Opéra-Comique pendant la guerre fut la superbe production du plus français des opéras français, Pelléas et Mélisande, dû au plus français des compositeurs français, Claude Debussy, alors souvent désigné comme « Claude de France ». La première représentation de cette reprise eut lieu le 12 septembre 1940. Comme beaucoup de spectacles sous l’Occupation, elle commença tôt, à 17h45. Signe des temps, le programme incluait un résumé de l’intrigue en allemand plutôt qu’en anglais, comme c’était la coutume avant la guerre. Le spectacle réunissait deux artistes qui allaient être les éléments-clefs d’une distribution appelée à faire date : le chef Roger Désormière et, en Mélisande, une soprano de 27 ans, Irène Joachim. Voici le souvenir qu’elle gardait de cette première : « Le rideau se leva, la salle était absolument bondée. J’ai immédiatement repéré un groupe où j’ai reconnu des visages, des gens de théâtre, acteurs et musiciens, tous amis de Déso [Désormière], Jouvet, etc. Tout était bien. Cela nous faisait nous sentir bien. Mais je remarquai aussitôt avec horreur que le théâtre était aux trois quarts plein d’officiers et de soldats allemands. C’était effrayant ! Nous devions prouver, par la musique de Debussy, que nous étions là, encore capables de vivre pour la plus grande des musiques, d’être les meilleurs pour Debussy. Mais quand Mélisande est frappée et jetée à terre par Golaud qui la traîne par les cheveux, « En avant, en arrière », et qu’Arkel dit enfin : « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes », je peux dire que l’émotion était telle que tous les amis dans la salle, les musiciens dans l’orchestre et nous les chanteurs sur scène, nous étions tous en larmes ». Pelléas allait être donné 44 fois à l’Opéra-Comique entre le 12 septembre 1940 et le 1er janvier 1946, ainsi que dans plusieurs autres villes de France, avec une distribution identique ou similaire. Mais la Mélisande d’Irène Joachim ne rencontra son Pelléas idéal que plusieurs mois après la première du 12 septembre. Ce fut lors d’une matinée, le 20 avril 1941, qui marqua les débuts Salle Favart du jeune baryton Jacques Jansen. Heureusement, la firme Pathé-Marconi prit la décision courageuse d’enregistrer l’œuvre dans son intégralité avec la distribution de l’Opéra-Comique. Il y avait eu jusque-là deux enregistrements d’extraits de Pelléas mais ce fut alors la première tentative commerciale de gravure complète de l’œuvre. Cela représentait un véritable acte de foi. Avec vingt épais disques en gomme-laque, 78 tours double face qui pesaient plus de douze kilos au total, rien ne permettait d’espérer rentrer dans les frais compte tenu des restrictions matérielles en temps de guerre. L’enregistrement fut réalisé en à peine plus d’un mois, entre le 24 avril et le 26 mai 1941. Pour une œuvre dont la principale caractéristique est le flux continu de la musique, diviser la partition en sections d’environ quatre minutes était en soi problématique. Cette tâche fut confiée au compositeur Louis Beydts. Jansen se souvenait : « La cire était si rare – c’était sous l’Occupation – il était hors de question de refaire dix fois certaines prises ». Irène Joachim en disait autant – « La quasi absence de cire autorisait très peu de reprises » – et attribuait à ce fait la spontanéité et le naturel de leur interprétation. Détail intéressant, une recension du disque dans Comoedia souligne exactement l’inverse. « Combien de cires gâchées avant l’enregistrement définitif ! Certaines faces furent refaites jusqu’à six fois avant que tous les scrupules soient satisfaits ». Un autre compositeur qui semblait représenter les vertus typiquement gauloises d’esprit et d’insouciance, par opposition à la lourdeur teutonne, était Emmanuel Chabrier. Le centenaire de sa naissance en 1941 offrit l’occasion de monter une production de son opérette négligée, L’Etoile, pour la première fois en avril 1941, et d’en enregistrer de larges extraits. Ce délicieux ouvrage, qui mettait en avant le savoureux talent de la mezzo Fanély Revoil, fut donné trente fois entre 1941 et 1946 et dut aider à dissiper un peu la morosité des heures sombres de l’Occupation. Pendant toute l’Occupation, l’Opéra-Comique continua à présenter régulièrement des œuvres nouvelles, comme il le faisait depuis le XIXe siècle. Il y eut en tout sept créations. La plus réussie fut Ginevra de Marcel Delannoy, compositeur qui venait alors en second juste après Arthur Honegger en termes d’importance sur la scène musicale parisienne. Inspiré d’un conte de Boccace, Ginevra possède une partition très séduisante, comme nous le prouvent les extraits enregistrés par l’excellente distribution originale – Irène Joachim, Henri Etcheverry, Marthe Angelici et Camille Maurane, sous la baguette de Désormière. Le compositeur alors le plus joué à Paris était le Suisse Arthur Honegger. La Danse des morts fut écrit en 1938, sur un livret de Paul Claudel inspiré de la Bible. La création eut lieu à Bâle en mars 1940. La première parisienne, prévue en juin de la même année, dut être repoussée pour des raisons évidentes. Le ton apocalyptique du texte se révéla étrangement approprié et la pièce suscita de vives réactions lorsqu’elle fut finalement présentée à Paris le 26 janvier 1941. On associe souvent à la Résistance la musique de Francis Poulenc. Comme Honegger, il avait été membre du « groupe des Six », mais c’était un compositeur d’un tempérament tout à fait différent, spirituel et joueur plutôt que monumental et massif. Le désastre subi par la France favorisa le côté plus sérieux de son art, qui avait déjà commencé à émerger à la fin des années 1930. Né en 1899, Poulenc était encore en âge de servir son pays, mais ne fut appelé sous les drapeaux qu’en juin 1940, après la défaite. Comme le souligne Richard D.E. Burton dans son petit livre éclairant, l’attitude et les actes du compositeur pendant la guerre furent parfois fort peu héroïques. On trouve dans sa correspondance de l’été 1940 des références au « cher Maréchal ». Selon Burton, les Chansons villageoises de 1942 « peuvent être vues comme une version musicale du retour à la terre prôné par Vichy », également célébré dans des succès de l’époque comme « Douce France » ou « Ça sent si bon la France ». L’une des plus délicieuses compositions de Poulenc fut alors la chanson « Les Chemins de l’amour », écrite en 1941 pour la pièce Léocadia de Jean Anouilh, alors tout jeune dramaturge encore peu connu. Agée de 47 ans, Yvonne Printemps interprétait avec un charme envoûtant le rôle d’une adolescente. L’enregistrement de cette chanson, réalisé dès 1941, est au vrai sens du terme inimitable. Elle n’y chante pas, elle y « respire mélodieusement », pour reprendre le mot fameux de Colette. Il serait impossible de transcrire exactement ce qu’elle fait. Poulenc s’impliqua davantage dans l’idée de résistance lorsqu’il mit en musique deux poèmes du communiste Louis Aragon en 1943, « C » et « Fêtes galantes », qui évoquent tous deux les réalités déprimantes de la France occupée. Dans les années 1930, André Jolivet s’était établi comme une des figures marquantes de l’avant-garde. Pendant la guerre, il revint à un style plus conservateur, populiste, peut-être pour se soumettre au « retour à l’ordre » qui affecta bien des artistes durant les deux guerres mondiales, plutôt qu’aux ordres de Vichy. En 1940, il composa Les Trois Complaintes du soldat, sur des textes qu’il avait lui-même écrits lorsqu’il était soldat, et qui exprimaient ses sentiments sur la défaite française. Ces mélodies reçurent un accueil très chaleureux en 1941 lors de leur première interprétation, avec accompagnement de piano, puis à nouveau en février 1943, dans leur version orchestrale, dirigée par Charles Munch et chantées par le baryton Pierre Bernac. Bernac et Munch les enregistrèrent fin 1943, début 1944, mais la publication dut attendre la fin de la guerre. Ressusciter la musique ancienne était une autre manière d’affirmer la « Francité » et de célébrer le patrimoine français. Le violoniste et chef Maurice Hewitt, ex-membre du quatuor Capet, qui avait notamment diverti Proust la nuit dans sa chambre tapissée de liège, entreprit en 1942 la tâche ambitieuse d’enregistrer des extraits des Indes galantes de Rameau avec Irène Joachim et Camille Maurane en solistes, pour un label indépendant, Les Discophiles Français. La vie musicale se poursuivit hors de Paris, en particulier en Zone Libre, jusqu’en novembre 1942. L’exode des artistes en juin 1940, dont beaucoup préférèrent rester dans la relative sécurité du sud du pays, suscita une sorte d’âge d’or pour les arts du spectacle à Marseille et dans d’autres villes du midi. Le 9 mai 1940, la veille de l’offensive allemande, Reynaldo Hahn dirigeait une représentation de Mireille de Gounod, dans la nouvelle version authentique qu’il avait aidé à mettre au point. Nous en conservons de précieux fragments diffusés par Radio Marseille le 11 juin 1941, captés dans le théâtre antique d’Arles. Reynaldo Hahn était alors le mentor d’une soprano locale, âgé de 21 ans : Renée Doria, qui fit ses débuts à Marseille en 1942, en Rosine du Barbier de Séville. Deux autres opéras – Le Roi d’Ys de Lalo et Carmen de Bizet, tous deux dirigés par Inghelbrecht – diffusés par Radio Marseille en 1942 et 1943 témoignent du haut niveau d’exigence musicale de la ville. D’excellentes distributions se détachent le ténor corse Gaston Micheletti en Mylio et Germaine Cernay en Margaret et Carmen. Il existe des Carmen plus aguicheuses et plus nettement caractérisées que celle de Cernay, mais rarement le rôle fut aussi bien chanté. Cette Carmen est un parfait exemple d’une certaine tradition française du chant qui disparut peu après la guerre. Cette représentation fut donnée le 9 novembre 1942, le lendemain du débarquement allié en Afrique du nord. Les auditeurs de la radio devaient guetter les nouvelles avec impatience. L’Opéra de Paris ferma ses portes le 22 juillet 1944, plus d’un mois après le débarquement en Normandie. Faute d’électricité, il n’était plus possible d’utiliser les éclaires complexes et sophistiqués qui avaient impressionné même les Allemands. Malgré tout, l’Opéra réussit à monter à la Sorbonne une représentation d’Alceste de Gluck, le 13 août, une semaine avant la Libération. Jusqu’au bout de l’Occupation, les mélomanes français purent profiter des superbes diffusions proposées par la chaîne collaborationniste Radio-Paris. Les enregistrements qui nous sont parvenus de représentations données dans les dernières semaines de l’Occupation – La Tour de feu de Sylvio Lazzari et La Dame blanche de Boieldieu – reflètent la qualité vocale des chanteurs et offrent un aperçu fascinant de ce répertoire aujourd’hui peu familier. La diffusion de La Tour de feu le 25 juin 1944 voulait sans aucun doute commémorer la mort du compositeur, survenue deux semaines auparavant, le 10 juin. On y découvre une partition enthousiasmante, dans une veine post-wagnérienne qu’on devrait peut-être plutôt qualifier de vérisme à la française, par sa veine mélodique et par l’intensité des sentiments en jeu. L’enregistrement nous permet aussi d’entendre deux beaux chanteurs injustement oubliés, alors au sommet de leurs moyens. Marisa Ferrer, puissant soprano dramatique, fut à partir de 1924 l’un des piliers de l’Opéra pendant un quart de siècle, mais n’enregistra curieusement qu’un seul disque commercial. Le baryton belge José Beckmans eut la malchance que l’apogée de sa carrière arrive sous l’Occupation. L’un des chanteurs les plus en vue à Paris, il participa à des productions aussi prestigieuses que Palestrina de Pfitzner et Peer Gynt de Werner Egk, ce dont sa réputation eut à souffrir après la guerre. La Dame blanche fut diffusé le 25 juillet 1944. La colorature affutée et accomplie d’Odette Turba-Rabier et l’élégance parfumée du ténor Louis Arnoult nous montrent la tradition de l’Opéra-Comique à son meilleur. On ne peut s’empêcher de se demander si le choix de cet opéra à sujet écossais, en un temps où les troupes alliées avançaient vers Paris, était un geste politique indirect. Exactement un mois plus tard, quand la capitale fut libérée, Colette clouée au lit déclara à son mari, Maurice Goudeket, qu’elle ne croirait à la bonne nouvelle que s’il allait dans la rue chercher un soldat en kilt pour qu’elle le voie de ses yeux, ce qu’il fit. La première grande création musicale qui eut lieu à Paris après la Libération fut celle des Trois Petites Liturgies de la présence divine de Messiaen, le 21 avril 1945, neuf jours avant la mort d’Hitler et tout juste trois semaines avant la fin de la guerre en Europe. Le gratin de la vie culturelle française – Honegger, Auric, Poulenc, Sauguet, Roland-Manuel, Jolivet, Delvincourt, Irène Joachim, Georges Braque et Paul Eluard, entre autres – était réuni dans la salle de concert de l’ancien Conservatoire pour entendre cette interprétation, enregistrée sur le vif. L’explosion de joie animale qui s’exprime dans la musique de Messiaen rappelle les images des foules en liesse dans les rues de Paris, à peine six mois auparavant. On January 16th 1944 after three and half years of gruelling and increasingly rapacious German occupation of their city, the hungry and depressed Parisians could have cheered themselves with an extraordinary feast of music. At the Théâtre des Champs-Elysées there was a free concert conducted by Willem Mengelberg that included the Overture to Anacreon by Cherubini, the Dvorak Cello Concerto with Paul Tortelier as soloist and the César Franck Symphony in D Minor. On the same day there were two performances at the Opéra Comique, a ballet at the Opéra, two concerts at the Salle Pleyel and concerts at the Salle Gaveau, the Salle Debussy, the Salle du Conservatoire, the Théâtre du Châtelet and the Palais du Chaillot. There was nothing exceptional about this. Mengelberg gave a total of 28 free concerts at the Thêâtre des Champs-Elysées between 1942 and 1944; the weekly concert programmes published in Parisian newspapers through the grimmest years of the Occupation show the continuing richness of Parisian musical life. All this was in line with the policies of the German occupiers who wished to maintain Paris as a cultural beacon of the New European order and for the recreation of the German armed forces. Despite their proclaimed belief in the superiority of German culture, the Nazi were not a little awed by Paris and its reputation as a cultural capital. On his one fleeting visit to the conquered city in the early hours of June 23rd 1940 Hitler made straight for the Paris Opera in the company of the architect Albert Speer and the sculptor Arno Breker. In the opening months of the war, the false optimism of the “drôle de guerre” found characteristic expression in the jaunty patriotic songs recorded by Georges Thill “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine” dated back to the war of 1870 and would be quoted again with cheeky defiance in Poulenc’s 1943 ballet Les Animaux modèles. “Ils ne la gagneront pas” presumably had a short shelf life after the German did in fact break through. After the debacle of June 1940 and the desertion of Paris by a large part of its population, cultural life resumed a semblance of normality with remarkable speed. The much respected veteran administrator, Jacques Rouché returned to his job as director of the Opéra despite his misgivings, believing that it would be better than allowing the Germans to take direct control of the institution. Rouché was allowed a measure of creative freedom but like every other administer in Paris he was forced to conform to Nazi racial directives and to dismiss approximately 30 members of the Opéra personnel. The Opéra reopened its doors on August 24th 1940 after a gap of just over two months, with a performance of Berlioz’s Damnation de Faust. The choice of this work was no doubt carefully considered. Not only was La Damnation de Faust one of the few French works that could compete in scale and profundity with the greatest German music masterpieces, it was also a setting of the most famous and admired work of German literature. As such, the choice of this work could have been interpreted as a gesture of support for German domination of the “new European order” about which so much was being spoken and in which France desired to play a leading role. La Damnation de Faust received no less than twenty performances under the German occupation. In an undertaking that can only be described as heroic under war time circumstances, the first complete recording of La Damnation de Faust was made between the 15th and 20th September 1942 under the baton of Jean Fournet with the augmented orchestra of Radio-Paris consisting of 95 players, the 80 singers of the Chorale Emile Passani and the soloists Mona Laurena, Georges Jouatte and Paul Cabanel. It might seem surprising that neither Ninon Vallin nor Germaine Lubin who were the two most admired exponents of the role of Marguerite and still at the height of their powers, was chosen for the recording. Mona Laurena sang at neither the Opéra nor the Opéra Comique and seems not to have had a significant pre-war or post-war career. She apparently owed her brief wartime prominence as a recording and broadcasting artist to her relationship with the German artistic director of Radio-Paris, Otto Sonnen. However her vocal talents are far from negligible and she does not let the side down. As well as presenting German works such as Pfitzner’s Palestrina and Werner Egk’s Joan of Zarissa, the Palais Garnier hoasted German opera companies.In 1941 the Berlin State Opera under the young Herbert von Karajan performed Tristan und Isolde. To her later sorrow the great French soprano sang the role of Isolde, but at the time it was regarded as a triumph for French vocal art. . Despite being from 1941 under the direction of the composer Max d’Ollone who was an enthusiastic supporter of musical collaboration with the Germans, the Opéra Comique at the Salle Favart was far more successful in maintaining its integrity as a French cultural institution. A somewhat exceptional placatory gesture towards the Germans was the first production in the house of Richard Strauss’ opera “Ariadne auf Naxos” or “Ariane à Naxos” in its French translation. On paper it would seem to have been a splendid performance with Germaine Lubin as Ariadne, Georges Jouatte as Bacchus, Janine Micheau and Marisa Ferrer as the Composer, conducted by Roger Désormière. The only souvenir we have of this impressive cast is a recording of Zerbinetta’s aria by Janine Micheau who negotiates the perilous altitudes of the aria with breathtaking ease and luminosity of tone, but as Honegger noted in his otherwise laudatory review in “Comoedia” lacks the “vivacity and malice” for the role. According to Germaine Lubin, Micheau earned a year long performance ban at the end of the war for singing the role in a performance broadcast by Radio-Paris. (5) The greatest wartime achievement of the Opéra Comique was the superb production of that most French of French operas “Pelléas et Mélisande” by that most French of French composers Claude Debussy, frequently referred to in many war time articles as “Claude de France”. The first performance of this revival took place on 12th September 1940. Like many war time performances it began early, at 5.45 pm. It was a sign of the times that the programme carried a resumé of the plot in German rather than in English as had been the custom before the war. The performance brought together two artists who were to be key elements in what came to be seen as a classic cast – the conductor Roger Désormière and the 27 year old soprano Irène Joachim as Mélisande. Joachim later recalled of that night;- “The curtain rose, the auditorium was absolutely packed. I immediately spotted a group in which I recognized faces, people of the theatre, actors and musicians, all friends of Déso (Désormière), Jouvet etc. Everything was good. It made us feel good. But immediately I noticed to my horror, that the theatre was three quarters full of German officers and soldiers. It was appalling! We had to prove, through Debussy’s music that we were there, still capable of living for the greatest of music, to be the best for the sake of Debussy. But when Mélisande is beaten and thrown to the ground by Golaud who drags her by the hair “Forwards and backwards” and Arkel says at last; “« Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes ” , I can say that the emotion was such that all the friends in the auditorium, the musicians in the orchestra and we singers on stage, we were all crying.” (6) Pelléas would be given 44 times at the Opéra Comique between September 12th 1940 and January 1st 1946 as well as being given in several other French cities with the same or similar casts. But Irène Joachim’s Mélisande did not meet her ideal Pelléas till some months after the September 12th performance. This was in a matinee performance on April 20th 1941 which marked the debut at the Salle Favart of the young baritone Jacques Jansen. Happily the firm of Pathé-Marconi made the bold decision to record the whole opera with the cast of the Opéra Comique in 1941. There had been two previous recordings of extracts of Pelléas but this was the first commercial attempt to record it complete. As such it was a considerable act of faith. On twenty thick double sided 78 rpm shellac discs that weighed in at over twelve kilos, there was no foreseeable prospect of recouping costs with war time restrictions on materials. The recording was made over a period of just over a month between April 24th and May 26th 1941. For a work whose salient characteristic is the continuous flow of its music, dividing it into approximately four minute sections for the purposes of recordings on 78 rpm discs, was itself problematic. This task was entrusted to the composer Louis Beydts. Jansen recalled “Wax was so scarce – it was during the occupation – there was no question of doing some bit over ten times.” Irène Joachim too asserted “The near absence of wax permitted very few retakes” and attributed the spontaneity and naturalness of the performance to this fact. Interestingly a review of the recording at the time in Comoedia stresses the exact opposite. “How many waxes were wasted before the recording was definitive! Certain sides were remade up to six times before every scruple was satisfied.” Another composer who seemed to represent typically Gallic virtues of wit and insouciance as opposed to Teutonic heaviness was Emmanuel Chabrier. The centenary of Chabrier’s birth in 1941 offered an opportunity to mount a production of his neglected operetta L’Etoile for the first time in April 1941 and also to record extensive excerpts. This delightful work that showcased the lively talents of the popular mezzo Fanély Revoil, was given thirty times between 1941 and 1946 and must have lightened hearts of many during the dark days of the Occupation. Throughout the Occupation the Opéra Comique continued to present new works on a regular basis, much as it had done since the nineteenth century. In all there were seven premieres. The most successful was Ginevra by Marcel Delannoy a composer second only to Arthur Honegger in prominence on the war time Parisian musical scene. Based on a tale of Boccaccio, Ginevra has a most attractive musical score as we can tell from recorded extracts with the excellent original cast – Irène Joachim, Henri Etcheverry, Marthe Angelici and Camille Maurane under the baton of Désormière. . The most widely performed living composer in occupied Paris was the Swiss Arthur Honegger. La Danse des morts was written in 1938 to a text of Paul Claudel based upon the Bible. The premiere took place in Basle in March 1940. The Paris premiere projected for June 1940 had to be postponed for obvious reasons. The apocalyptic tone of the text proved uncannily apt and the piece evoked a powerful response when it was finally premiered in Paris on 26 January 1941. A composer whose music is often associated with the Resistance is Francis Poulenc. Like Honegger Poulenc was a former member of the group known as “Les Six” but was a composer of a very different character – witty and playful rather than muscular and monumental. The disaster that befell France helped to encourage a more serious side of Poulenc’s art that had already begun to emerge in the late 1930s. As Poulenc was born in 1899, he was still of military age but did not receive his call up papers till June 1940 and never saw military action. As Richard D. E. Burton shows in his insightful small book on Poulenc, the composer’s attitudes and actions during the war were occasionally less than heroic. There were references in his correspondence in the Summer of 1940 to “the dear Maréchal”. In the words of Burton, the 1942 Chansons villageoises “might be seen as a musical version of the Vichyist retour à la terre” that is also celebrated in popular songs of the period such as “Douce France” and “Ça sent si bon la France.” One of Poulenc’s most delightful compositions was the song “Les chemins de l’amour” written in 1941 for Yvonne Printemps to sing in the play Léocadia by the very young and as yet little known playwright Jean Anouilh. With beguiling charm the 47 year old Printemps played the part of a teenage girl. The recording she made of the song in 1941 is in the true sense of the world, inimitable. In the famous description of Colette, Yvonne Printemps does not sing but “breathes melodiously”. It would be impossible to notate quite what she does with this song. Poulenc engaged more directly with the idea of resistance when he made song settings of two poems by the Communist poet Louis Aragon in 1943 “C” and “Fêtes Galantes” that both deal with the depressing realities of occupied France. André Jolivet had established himself as a leading figure of the musical avant-garde in the 1930s. During the war he returned to more conservative and populist manner, obeying perhaps the “call to order” that affected many artists in both world wars, rather than the dictates of Vichy. In 1940 he wrote Les Trois Complaintes du Soldat using texts he had written himself while serving as a soldier and expressing his feelings about French defeat. The songs were received with great acclaim when first performed in a piano accompanied version in 1941 and then again in a new orchestral version in February 1943, conducted by Charles Munch and sung by the baritone Pierre Bernac. Bernac and Munch recorded the songs in late 1943 and early 1944 though publication was delayed till after the end of the war. The revival and recording of early French music was another way to assert “Frenchness” and celebrate the French patrimony. The violinist and conductor Maurice Hewitt, a former member of the Capet quartet that had famously entertained Proust in his cork-lined room over the night, undertook the ambitious task in 1942 of recording Rameau’s Les Indes Galantes with Irène Joachim and Camille Maurane as soloists for the independent label of Les Discophiles Francais. French musical life continued outside Paris, particularly in the Southern or so-called Free Zone, up to November 1942. The exodus of artist from Paris in June 1940, many of whom preferred to remain in the relative safety of the south launched something of a golden age of the performing arts in Marseilles and other southern cities. On the 9th May 1940, the eve of the German onslaught, Reynaldo Hahn was conducting a performance of a new authentic version of Gounod’s Mireille that he had helped to prepare. We have a precious souvenir of Hahn’s conducting in fragments of a performance that took place in the Roman theatre in Arles and was broadcast my Radio Marseilles on June 11th 1941. Hahn mentored and accompanied the locally trained 21 year old soprano Renée Doria who made her debut in Marseille as Rosine in Le Barbier de Séville in 1942. Surviving transcripts of two operas – Lalo’s Le Roi d’Ys and Bizet’s Carmen broadcast from Radio Marseilles in 1942 and 1943 are evidence of the high musical standards in the city. Both are conducted by Inghelbrecht. Outstanding amongst the uniformly fine casts of both operas are the Corsican tenor Gaston Micheletti as Mylio in Le Roi d’Ys and Germaine Cernay as Margared and Carmen. There have been sexier and more vividly characterized Carmen’s than Cernay’s but rarely as well sung. Altogether this Carmen is as good an example as you could find of a French tradition of singing that disappeared soon after the war. This performance took place on November 9th 1942, one day after the allied “Torch” landings in North Africa. The radio listeners must have been anxiously awaiting the news. The Paris Opéra only closed its doors on July 22nd 1944 more than a month after the Allied landings in Normandy, when supplies of electricity ran out and it could no longer utilize the elaborate and sophisticated stage lighting that had impressed even the Germans. Even then the Opéra managed to put on a performance of Gluck’s Alceste at the Sorbonne on August 13th just over a week before the Liberation. To the very end of the Occupation French music lovers could enjoy the magnificent broadcasts put out by the collaborationist Radio-Paris. Surviving radio performances dating from the last weeks of the Occupation of Sylvio Lazzari’s La Tour de feu and of Boieldieu’s La Dame blanche are evidence of the high vocal standards of the time as well as offering fascinating glimpses of this now unfamiliar French repertoire. The broadcast of Lazzari’s La Tour de feu on June 25th 1944 was no doubt intended to commemorate the death of the composer two weeks earlier on June 10th. The broadcast of La Tour de Feu reveals an exciting score in a post-Wagnerian vein that might be better described as French Verismo with its melodic and high-pitched emotionalism. The recording also allows us to hear two very fine and unjustly forgotten singers at the height of their powers. The powerful dramatic soprano Marisa Ferrer was one of the leading singers at the Opéra for a quarter of a century from 1924 but strangely made only one commercial record. The Belgian baritone José Beckmans had the misfortune that his career peaked during the Occupation. He was one of the singers most in view in wartime Paris taking part in such high profile productions as Pfitzner’s Palestrina and Werner Egk’s Peer Gynt and his post war reputation suffered as a consequence. La Dame blanche was broadcast on July 25th 1944. The pointed and accomplished coloratura of Odette Turba-Rabier and the perfumed elegance of the tenor Louis Arnoult show the old Opéra Comique tradition at its very best. One cannot help wondering whether the broadcast of this opera with its Scottish subject at a time when allied troops were well on their way to Paris was an oblique political gesture. Exactly one month later when allied troops entered Paris, the bed-ridden author Colette told her husband Maurice Goudeket she would not believe the good news unless he could go out into the streets and fetch a soldier in a kilt for her to see with her own eyes, which he duly did. The first great musical premiere that too place in Paris after the Liberation was that of Messiaen’Trois Petites Liturgies de la présence divine, on April 21 1945, 9 days before the death of Hitler and just over three weeks before the end of the war in Europe. The great and the good of French cultural life, including Honegger, Auric, Poulenc, Sauguet, Roland-Manuel, Jolivet, Delvincourt, Irène Joachim, Georges Braque and Paul Eluard assembled in the concert hall of the Old Conservatoire to hear a performance that was recorded live. The explosion of animalistic joy expressed in Messiaen’s music recalls images of the celebrating crowds on the streets of Paris just over half a year earlier. Patrick BADE, traduction de N.Flamel 3